Né le 8 janvier 1935, Elvis Presley aurait eu 80 ans aujourd'hui s’il
n’était pas mort d'une crise cardiaque consécutive à sa consommation abusive de
médicaments en 1977. Retour sur les 10 éléments clés de la mise en marché du
King, la légende du rock and roll, par le Colonel Parker :
1.
Choisir le bon produit
En janvier
1955, le Colonel Parker (de son vrai nom Andrea Cornelis van Kuik) entre en
contact pour la première fois avec Elvis Presley.
Au vu des réactions des spectatrices, Parker signe un contrat avec Elvis et se
retrouve éventuellement comme le seul responsable de la carrière du chanteur.
Il dira plus tard qu’Elvis était un mélange de Marlon Brando et de James
Dean.
2.
Peaufiner l’image de la star et du manager dans les moindres détails
En 1958, au
faîte de sa carrière, Elvis est contacté par l’armée pour qu’il fasse son
service militaire et donne des concerts gratuits pour stimuler les troupes
américaines à l’étranger.
Contre mauvaise fortune bon cœur, Parker persuade Elvis d’effectuer son service
militaire comme tout le monde afin d’éviter d’alimenter le mécontentement des
vétérans, des familles de militaires, des sénateurs, des politiciens et
ultimement, des fans du King du rock and roll.
C’est dans
cet esprit qu’Elvis se fera couper les cheveux devant
les caméras – un événement médiatique à l’époque ! Ce faisant, Elvis se
défait graduellement de son image de mauvais garçon des années 1955-1956
attribuable à son célèbre déhanchement suggestif, ses habitudes vestimentaires
et ses problèmes avec la police.
Lorsque le
King débute son service militaire, le Colonel ne permet pas à Anita Wood, sa
copine de l’époque, de l’accompagner en Allemagne, jugeant que la présence de
celle-ci pourrait avoir des effets néfastes sur la popularité de son « poulain
».
Quand
Elvis, 28 ans, tombe en amour avec une certaine Priscilla, 14 ans, pendant son
séjour dans l’armée américaine, le Colonel Parker comprend les dangers qui
guettent la star. Lors du mariage du King, c’est d’ailleurs le Colonel qui
veillera à chaque détail : bague, célébrant, invités, salle, etc.
En
visionnant le film Viva
Las Vegas dans lequel Elvis tient le rôle principal avec Ann-Margret,
le Colonel constate à quel point l’actrice aux cheveux teint en roux crève
l’écran et vole la vedette à Elvis.
Conscient
de la couverture média qui s’en suivra, Parker fait des pressions auprès de MGM
pour que le studio d’Hollywood maximise l’effet Elvis dans les publicités et
dans le montage du film. Ainsi, sur les trois duos enregistrés lors du tournage
du film, un seul apparaît dans la version finale de Viva Las Vegas et
aucune de ces chansons ne deviendra un single avant la mort du King.
En
préparation du tournage de Blue Hawaii, Parker convainc Elvis de se
remettre en forme, car se dernier a pris plusieurs kilos, résultat de ses
mauvaises habitudes alimentaires et de sa consommation abusive de médicaments.
3.
Briser les conventions
En 1956,
Colonel Parker brise les conventions. Alors que d’ordinaire, les directeurs
artistiques d’une maison de disque choisissent les chansons que leurs poulains
vont interpréter, Parker insiste pour qu’Elvis puisse sélectionner son propre
répertoire. RCA finit par céder.
Parker
innove aussi sur le plan du partage des revenus : initialement, il prend 25 %
de la cagnotte d’Elvis en plus des frais de représentation – hôtels,
restaurants, déplacements, etc. Pour les spectacles, c’est un tiers pour lui et
deux tiers pour Elvis.
4.
Prendre des risques
Lorsqu’un promoteur
apostrophe le Colonel Parker pour essayer de comprendre pourquoi Elvis donne
des spectacles dans des villes comme Monroe (Lousiane) et Greensboro (Caroline
du Nord), le célèbre gérant d’artiste (on dirait aujourd'hui imprésario)
répondra : « précisément parce que personne d’autre n’y pense ! »
À l’été
1972, le Colonel plutôt frileux à l’idée de faire chanter Elvis à New York,
prend une chance et réserve trois dates consécutives au Madison Square
Garden, une première pour l’époque. Fort du succès en prévente, une 4e
date est ajoutée, un exploit unique dans les années 70.
En 1956, le
Colonel Parker accepte 40 000 $ d’Hank Saperstein pour faire d’Elvis une marque
qui apparaîtra désormais sur plus de 68 produits, dont une poupée, une marque
de rouge à lèvres, un bracelet, etc. À la fin de 1956, l’entente a déjà généré
des revenus de 22 millions $.
Signe que
rien ne l’arrête dans sa quête du profit, Parker met en vente sur le marché des
macarons sur lesquels on peut lire « I Hate Elvis » (je
déteste Elvis, en français), histoire de faire des sous avec les fans comme
avec les haters…
5.
Opérer un contrôle total sur la communication
Le Colonel
Parker impose des conditions sévères aux gens qui entreront en contact avec
Elvis en plus de veiller personnellement à la publicité, aux commanditaires, au
calendrier médias et à la conception des affiches du King.
Le Colonel
opère un contrôle drastique sur le chanteur, refusant la plupart des demandes
d’interviews, dans les magazines comme à la télévision.
Dans le
même sens, le Colonel Parker interdit toute communication directe entre les
médias et Elvis Presley.
Lors des
diverses communications de la star, Parker prendra soin de signer
personnellement chaque échange, allant jusqu’à co-signer les cartes de Noël du
King. Après les spectacles, il exercera même un certain contrôle sur la prise
de photos des fans, craignant qu’Elvis soit associé par la bande à un voyou.
Lors du
passage du magazine Life en Allemagne, il exigera d’ailleurs la coquette
somme de 25 000 $ pour laisser le photographe prendre quelques croquis du King
devant des baraques militaires.
Pourtant,
en avril 1956, Parker commet un rare impair lorsqu’il signe Elvis pour une série
de spectacles à Las Vegas. Le Colonel dira plus tard qu’il a fait une erreur de
public cible ; les fans d’Elvis sont plus jeunes que les amateurs qui
peuplaient les salles de spectacles de Las Vegas dans les années cinquante.
Ceci dit, dans les années 60 et 70, le public cible d’Elvis correspondra à
celui de Las Vegas.
6.
Maintenir la cadence
Pendant
l’absence d’Elvis en Amérique du Nord, Parker ne se contente pas de gérer les
petites amies du chanteur. Il comprend aussi qu’il doit alimenter virtuellement
ses fans en musique s’il ne veut pas perdre leur attention. Car rien n’est plus
infidèle musicalement qu’une jeune adolescente.
Pour cette
raison, le Colonel Parker va sortir régulièrement des singles enregistrés avant
le départ du King pour l’Allemagne, une idée de génie pour l’époque. Cela lui
permet de combler le vide laissé par l’absence du King.
Mieux
encore, durant son absence pour cause de service militaire, le Colonel Parker
génère 3 millions $ en revenus promotionnels seulement, une industrie
naissante à la fin des années cinquante. En outre, ces revenus pour tourner
dans des films passent de 200 000 $ à 300 000 $.
7.
Multiplier les plateformes de visibilité
Durant sa
carrière, Presley tourne dans 31 films, autant de plateformes et de prétextes à
danser et chanter la pomme à de jolies filles, dont Ann Margret. Dans certains
cas, le tournage de ses films ne prend pas plus de 32 jours !
Pour le
Colonel Parker, ces films permettent de vendre des disques et des billets de
concert et de garantir la visibilité du King à l’extérieur de l’Amérique sans
avoir à se déplacer.
Avant son
temps, Parker comprend que la bande-son du film contribuera à vendre des albums
et des microsillons. Pour cette raison, chaque film devra compter au moins
quatre chansons d’Elvis, idéalement cinq ou plus.
Cela
n’empêchera pas Elvis de devenir éventuellement le comédien le mieux payé
d’Hollywood, un exploit remarquable considérant la qualité des films dans
lesquels Elvis joue le rôle du tombeur incompris !
Ceci dit,
quoiqu’on pense des films d’Elvis et de la stratégie du Colonel Parker, Hollywood
a permis à Elvis de faire des tonnes de $$$ à une époque où les ventes de
disques se font plus difficiles pour la star, spécialement dans le contexte des
rassemblements peace and love, l’arrivée des Beatles et des Rolling
Stones ainsi que l’époque psychédélique qui s’en suivit.
Car Elvis
n’arrivera jamais tout à fait à s’adapter à la nouvelle culture musicale des
années 60, bien que son spécial « ELVIS » organisé par
Steve Binder donnera à NBC sa meilleure cote d’écoute en 1968.
Par la
bande, le succès de visionnement de ce spécial TV (une rare émission mettant en
vedette Elvis à la télévision) permet à Elvis de signer à Las Vegas un lucratif
contrat avec l’Hôtel International du magnat Kirk Kerkorian : deux
spectacles par soir, sept soirs par semaine, pour quatre semaines, une cadence
infernale à l’époque.
Pour
frapper l’imaginaire des fans d’Elvis et porter un grand coup dans les médias, Parker
organisera une campagne de publicité monstre – chaque panneau-affiche de Las
Vegas fait la promotion du spectacle à venir – et il diffuse une
photo de la star signant son contrat devant l’Hôtel International en
construction.
Une comédie
montée de toutes pièces pour mousser les revenus générés par la tournée de
spectacles et qui permit à l’hôtel de doubler ses revenus de ventes de billets,
de restaurants et de jeux.
8.
Innover sur le plan de l’utilisation des médias
En 1960,
lors de son retour aux États-Unis et en 1968, lorsque le contrat avec la MGM
est terminé, Parker rebondit en organisant les come-back d’Elvis,
d’abord à la télévision puis sur scène.
Sur ce
plan, Parker invente les retrouvailles télévisées (son spécial «Welcome Home Elvis »
commandité par Timex avec Frank Sinatra en 1960 et « ELVIS » commandité par
Singer en 1968), les retransmissions satellites à l’échelle planétaire (« Aloha from Hawaii » en
1973) et le docu-concert (Elvis :
That’s the Way ItIs) présenté à l’origine dans les cinémas en 1970.
En janvier
1973, le spectacle Aloha from Hawaii, présenté à Honolulu, rejoint 1.4
milliard de téléspectateurs dans 54 pays.
Ce
spectacle est le dernier grand moment d’Elvis, sa dernière apparition en tant
que superstar. L’album qui en découlera fera le Billboard durant
35 semaines en plus d’occuper la première position du Billboard pendant
quelques semaines, une première pour Elvis en 9 ans.
Plus que
tout et à l’instar de ces films, cette retransmission à l’échelle planétaire
permet à Elvis de voyager à l’extérieur des États-Unis sans être contraint de
quitter le pays.
9. Faire
attention à la surexposition
Selon le
Colonel Tom Parker, il faut en donner juste assez pour stimuler l’appétit des
fans et alimenter leur imagination. Dans cet esprit, il faut savoir miser sur
quelques émissions de télévision clé.
Et la
stratégie porte fruit : lors de son premier passage au Ed Sullivan Show
de la CBS le 9
septembre 1956, 82 % des foyers américains avec un téléviseur ouvert
syntonisent la prestation du King. Lors de son deuxième passage au Ed Sullivan Show,
question d’image, il teint ses cheveux en noir.
Parker
justifiera plus tard sa stratégie de visibilité en expliquant qu’il a observé
que le fait d’apparaître à la télévision dans des talk-shows était le plus
souvent néfaste pour la carrière des artistes, un constat qu’il fera à nouveau
en août 1987 lors d’une entrevue
à l’émission Nightline avec Ted Koppel.
En réalité,
comme je le mentionne dans ces entrevues avec Guy
Simard du 98,5FM et Ray
Cloutier du FM93, Parker craint la surexposition du King dans les médias. «
S’ils peuvent voir Elvis gratuitement, il ne paieront plus pour le voir en
spectacle ou au cinéma ».
C’est le
même raisonnement qui amènera le Colonel à contacter personnellement les
producteurs des films d’Elvis chaque fois qu’un film sera diffusé «
gratuitement » à la télévision traditionnelle.
10.
Planifier « l’après-carrière »
À sa mort,
Elvis laisse derrière lui une fortune estimée à 150 millions de dollars. Mais
très vite, Parker comprend l’extraordinaire potentiel du King sur le plan
commercial bien que celui-ci soit décédé.
Après avoir
annulé la tournée du King et contacté le père d’Elvis, le Colonel se rend
directement à New York pour rencontrer la direction de RCA car il anticipe des
ventes records d’albums dans les jours qui vont suivre le décès du King. Parker
veut s’assurer que RCA va alimenter chaque magasin de disques à travers le
pays.
Dans un
deuxième temps, Parker rencontre Harry « the Bear » Geisler, un jeune homme de
48 ans qui est devenu millionnaire du jour au lendemain en vendant des affiches
et des t-shirts de Farrah Fawcett au début 1977. Son entreprise, Factors ETC
Inc., détient les droits de la célèbre
photo de Fawcett ainsi que sur des produits liés aux films Star Wars et
Rocky.
Le Colonel
veut s’assurer de maximiser les revenus du King « après » sa mort et signer une
entente du type Farrah Fawcett. À un journaliste qui l’interroge sur la fin du
King, il dira le plus sérieusement du monde : « Elvis n’est pas mort. Son
corps l’est mais cela ne signifie rien. Cela ne change rien ».
Sur ce
plan, l’industrie de la musique et du spectacle doit une fière chandelle au
Colonel Parker, l’inventeur à plusieurs égards de « l’image du défunt». En
1979, le Colonel a déjà négocié plus de 160 ententes pour lequelles il reçoit
50 % des profits.
Au moment
de prendre possession des droits sur l’image d’Elvis en 1983, la succession du
King, avec à sa tête Priscilla Presley dans le rôle de la gestionnaire en chef
(en attendant la majorité de Lisa Marie Presley), prépare la stratégie
post-Elvis en s’inspirant fortement du Colonel.
Graceland
devient la plaque tournante du plan marketing de la succession Presley. De nos
jours, seule la Maison-Blanche attire davantage de touristes
annuellement aux États-Unis.
Au final,
Elvis Presley est avec les Beatles, l’un des premiers artistes à
utiliser le marketing pour positionner et mener de front une carrière musicale
dans les années 60.
À bien des égards, le Colonel Parker a été le premier gérant à construire
l’image d’un chanteur dans les moindres détails, une approche qui a inspiré
assurément plusieurs gérants par la suite dont René Angélil, agent artistique
de Céline Dion et grand
fan du Colonel Parker.