L’industrie
des médias papiers est en crise et le lancement ce matin de La Presse+, une
toute nouvelle édition numérique gratuite du journal La Presse pour la
tablette numérique iPad, le confirme une fois de plus.
Après
trois ans de recherche et de développement et un investissement de 40 millions
$, dont 2 millions $ seulement en recherche, cette nouvelle édition numérique
exploite les capacités multifonctionnelles d’iPad avec une interface graphique
fort réussie qui s’inspire, entre autres, de Flipboard et de l’application du
quotidien The Guardian.
Les
contenus présentés sont distinctifs grâce à une présentation visuelle composée
de textes, d’images interactives, de vidéos, de galeries de photos, de dossiers
à onglets et d’écrans défilants qui enrichissent la nouvelle.
Les
utilisateurs découvriront aussi la toute nouvelle section Pause qui vise plus
particulièrement la clientèle féminine, publiée du lundi au samedi sur un thème
différent : famille, santé, mode, etc.
La Presse+
vient s’ajouter aux autres plateformes de l’écosystème de La Presse :
format papier, site web et plateforme mobile. Au total, ces différentes
plateformes attirent actuellement 1,7 million de lecteurs (environ 900 000 sur
Internet et 800 000 pour la version papier).
Mais La Presse+,
c’est aussi une toute nouvelle manière de penser la publicité, le nerf de la
guerre dans une logique d’abonnement gratuit. Dans ce cas, La Presse+ a choisit
de s’éloigner de la douzaine de formats publicitaires que l’on retrouve actuellement
sur Internet et d’innover.
Dans un
souci de séduction auprès des annonceurs potentiels, La Presse a confectionné
une centaine de nouveaux gabarits et formats publicitaires. La Presse+ a d’ailleurs pris soin
d’organiser au préalable des rencontres avec des annonceurs et des agences de
publicité pour tester différents concepts.
En faisant
le pari du GRATUIT, La Presse+ joue gros et va à l’encontre du mouvement
général que l’on observe dans l’industrie des médias papiers.
Pour la
plupart des journaux papier à travers le monde, la solution priorisée pour
faire face aux baisses de tirage -- et donc aux baisses de ventes de publicité
-- réside dans la formule « site payant d’information ».
Au Canada,
le Globe and Mail est un bon exemple de ce mouvement général. Il faut dire que
le succès du New York Times, du Financial Times et du Wall
Street Journal ont eu un effet d'entraînement sur plusieurs autres
quotidiens à l’échelle nord américaine.
Le Wall
Street Journal a été le premier à imposer un abonnement payant, en 1997.
Aux États-Unis, selon le Poynter Institute, on évalue à environ 16% la
proportion des journaux qui ont instauré l'abonnement payant sur le web.
Ceci dit, à l’usage, l’option payante sur le Net est
efficace quand un quotidien offre un contenu spécialisé, exclusif
et/ou international. En effet,
on sait que les gens ne paieront pas pour accéder à des nouvelles générales, ce
qui joue contre les médias généralistes basés sur le scoop et la nouvelle de la
journée.
Cette annonce de La Presse qui a des
échos jusqu’en Europe montre à quel point l’industrie de la nouvelle et de
l'information a changé en 80 ans.
D’abord avec l’avènement des chaînes
de nouvelles en continue à la télévision qui ont eu pour effet de transformer
la notion d’information et de rendre presque caduque le journal papier. Ensuite
avec l’arrivée d’Internet et des médias sociaux qui permettent de s’informer
instantanément à peu de frais.
Au-delà de
ces deux facteurs clés, plusieurs phénomènes expliquent le lent déclin des quotidiens
: les quotidiens ont augmenté leur tarif, la classe moyenne a quitté les
centres-villes, les jeunes lisent de moins en moins et un plus grand nombre de
lecteurs affirment lire l’exemplaire de quelqu’un d’autre, que ce soit dans le
restaurant, au bureau ou chez un ami.
En décembre 2012, le magazine Newsweek a mis fin a sa version papier et a lancé une application partiellement payante, cela afin d’économiser 40 millions $ en frais d’impression et de distribution annuellement.
En décembre 2012, le magazine Newsweek a mis fin a sa version papier et a lancé une application partiellement payante, cela afin d’économiser 40 millions $ en frais d’impression et de distribution annuellement.
La Presse dont les frais
d’impression sont de 90 millions $, une somme énorme, choisi une autre avenue,
celle du village gaulois : initier une nouvelle génération de lecteurs à
l’information par l’entremise des multiples possibilités du numérique tout en
garantissant à ses lecteurs actuels un transfert de plateforme tout en douceur.
En faisant reposer une grande partie de cette nouvelle
stratégie sur la tablette iPad (Android viendra plus tard), La Presse prend un
autre risque : elle est à la merci de la croissance d’une plateforme
unique. En entrevue, les dirigeants de La Presse+ prétendent que 600 000
lecteurs de La Presse possèdent déjà une tablette iPad. Personnellement, ce
chiffre m’apparaît un peu élevé.
Pari risqué également, parce
qu’avec la stratégie Gesca, il ne peut pas y avoir de retour en arrière, le
gratuit ne pouvant pas redevenir payant.
Enfin, pari risqué, car pour rentabiliser l’opération, cela sous-tend que les annonceurs vont emboîter le pas pour contrebalancer la baisse de revenu générée par la baisse des abonnements papiers et des ventes en kiosque. Dans un Québec historiquement frileux de changements, le risque n’est pas négligeable.