Extrait de mon entrevue portant sur la UFC avec François Guillaume Lemouton, journaliste à l'Équipe, un magazine français spécialisé dans la nouvelle sportive.
Q (François Guillaume Lemouton) - La situation de l’UFC est-elle comparable à celle des grandes ligues sportives
nord-américaines (NBA, NHL, etc ) ?
R (Luc Dupont) - Sur le plan légal, cette situation s'inscrit dans la
mouvance sportive nord-américaine actuelle. Comme on l'a vu récemment,
des joueurs de football et de basketball de la NCAA ont
poursuivi leur ancienne ligue universitaire pour obtenir une compensation sur
l’argent qui aurait dû leur revenir. On a vu la même chose au Canada avec des
joueurs de hockey juniors qui ont tenté de constituer un syndicat.
Ceci étant dit, sur le plan stratégique, la situation ne
s'apparente pas aux autres grandes ligues sportives nord-américaines. D'abord
parce que sur le plan juridique, les ligues de sports sont constituées
d'équipes, donc de différentes entités, ce qui n'est pas le cas pour la UFC.
Autre constat : dans les grandes ligues sportives
nord-américaines, il y a une masse critique de joueurs par ligue et par équipe.
Pour le pugiliste de la UFC, le rapport de force avec les propriétaires est
différent pour ne pas dire à peu près inexistant ; il est laissé seul à
lui-même.
Cela explique probablement pourquoi il n'y a pas de
syndicat qui protège les sports de combats comme la boxe, la lutte ou le
culturisme. Cela explique également la stratégie de communication-marketing des
combattants de la UFC qui, conscients de cette limite, ont multiplié
les annonces et les poursuites durant la période des fêtes.
Fait à noter, il y a plusieurs années, certains lutteurs
de la WWF (devenue depuis la WWE) ont tenté sans succès de créer un syndicat de
combattants. Malheureusement, les lutteurs les mieux payés ont refusé de risquer
une diminution de salaire pour le bien commun. Idem pour les
culturistes.
Quant aux ligues de sports professionnelles comme la NBA,
la NFL ou la LNH, elles ont traversé la tempête des lois antitrusts à la fin des
années 60 et au début des années 70. Cela a d'ailleurs donné naissance à des
«ligues rebelles» comme la American Basketball League (ABA), la World Football
League (WFL) et à l'Association mondiale de hockey (WHA, en anglais), trois
ligues crées... par des avocats !
Q - Cette situation justifie-t-elle une évolution de
son modèle économique (avec un partage des revenus négocié régulièrement avec
les combattants) ?
R - Je suis convaincu que certaines pratiques de la UFC
devront être revues, entre autre, celle permettant à la ligue d'égaler tout
contrat signé avec une autre ligue de combat extrême.
Q - Peut-on dire que l’UFC est d’une certaine
manière victime de son succès ?
R - Ce problème était latent depuis plusieurs années déjà.
Dans le passé, le réseau ESPN aux États-Unis a soulevé la question dans
plusieurs topos. Mais pour que l'histoire prenne sa vitesse de croisière, il
fallait attendre la retraite d'une première génération de combattants à succès
et bien sûr, il fallait aussi que la UFC devienne un succès ce qui est
maintenant le cas.
Q - Cette plainte qui va obliger l’UFC à se défendre
publiquement (et par ailleurs à révéler certains chiffres sur son business),
menace t elle le développement de l’UFC.. ?
R - Cette plainte va obliger la UFC à se défendre publiquement
et à révéler ses sources de revenus, je pense ici aux droits de télévision
(télévision à la carte et contrats de télévision avec les diffuseurs nationaux
aux États-Unis et ailleurs dans le monde), revenus Internet, vente de produits
dérivés dont les chandails, les jeux vidéo et les figurines d'actions, droits
sur l'image (branding), commandites/sponsors, etc.
Je ne crois pas que l'acquisition de ligues
concurrentes comme la Strikeforce posera de problème à la UFC. Ce sont
plutôt les contrats liant la UFC aux combattants qui vont faire l'objet du
litige : droits sur l'image des combattants et restrictions sur les carrières et
les mouvements entre ligues d'arts martiaux.
Je me permettrai aussi une prédiction : à la surprise de plusieurs, nous allons apprendre que le salaire moyen d'un
combattant de la UFC s'élève à environ 100 000 $.
Si le jugement qui sera rendu à Las Vegas était à la faveur des combattants de la
UFC, tout devient possible.