Les éditions Québec Amérique lançait récemment le livre
Jacques Bouchard : le créateur de la publicité québécoise, écrit par
Marie-Claude Ducas. Dans cette biographie d'une qualité rare,
Madame Ducas se penche sur le parcours et la carrière du fondateur
de BCP, l’initiateur du Publicité Club de Montréal (PCM), l’auteur du fameux livre « Les 36 cordes sensibles des Québécois » et le père de la publicité québécoise.
Au-delà du publicitaire et du communicateur hors pair,
on découvre dans ce livre l’autre Jacques Bouchard : le sociologue, le
psychologue, l'anthropologue et l’expert des médias ; un homme curieux doté d'une sensibilité
exceptionnelle pour « ce qui marche » en communication persuasive.
À l'évidence, l'auteure de cette biographie nous présente un
homme qui a profondément aimé sa profession.
Jacques Bouchard, c’est l’homme de
la pub et des slogans « Qu'est-ce qui fait chanter les p'tits
Simard ? » avec René Simard (Laura Secord), « Mon bikini, ma brosse à dents »
avec Dominique Michel (Air Canada), « Il fait beau dans le métro » (STCUM), «
Lui, y connaît ça » avec Olivier Guimond (Labatt), « Dominion nous fait bien
manger », avec Juliette Huot (Dominion), « Sico Sico par ci, Sico Sico par là ! » avec Jacques Thisdale (peinture Sico), «
Pop-sac-à-vie-sau-sec-fi-copain » pour Desjardins, avec Marie-Josée Taillefer
et « On est 12 012 pour assurer votre confort » pour
Hydro-Québec.
Mais comme on le comprend rapidement en
parcourant cette biographie, s’intéresser à Jacques Bouchard, c'est
aussi s’intéresser au Québec des années 60 à 80, celui des mutations qui vont
marquer cette société sur le plan culturel, politique et médiatique.
Visiblement, Jacques Bouchard est un séducteur, téméraire,
confiant, mais aussi préoccupé par son image comme en font foi le choix de ses
vêtements ou de sa voiture (une Rolls-Royce), sa table de billard à l’agence
(avant que cela ne devienne une mode) ou son éventuel château en France.
À ce titre, l'auteure nous donne accès à l'envers du décor
des campagnes publicitaires de BCP les plus célèbres, entre autres celles de
Labatt, d'Air Canada ou du gouvernement du Canada. Madame Ducas se penche
également sur la curieuse habitude qu’avait Bouchard de disparaître quelques
jours avant un deadline important.
On apprend que dans le cadre de la célèbre campagne « On est
6 millions, faut se parler » trop souvent attribuée par mégarde à Jacques
Bouchard, le fondateur de BCP n'hésite pas à mettre en compétition les
directeurs artistiques de l'agence.
Au final, il choisira non pas son concept
mais celui de Raymond Marchand et de Robert Meloche qu'il juge meilleur que le
sien. C'est le compositeur François Dompierre qui composera la ritournelle qui
deviendra presque un hymne politique avec le temps.
En ce qui a trait à la campagne de Labatt mettant en vedette
Olivier Guimond, on découvre avec surprise que l’idée du fameux pouce dans les
airs n'originait pas d'un client dans une taverne comme le voulait la légende
qu’a entretenue Bouchard toute sa vie, mais plutôt d’un simple brainstorming en
agence.
À cet égard, l’ouvrage de Marie-Claude Ducas est fouillé et
fort détaillé et se compare avantageusement aux biographies de Kenneth Roman
sur David Ogilvy ou celui de Jeffrey Cruikshank et Arthur Schultz
sur Albert Lasker.
L'auteure a interrogé des dizaines d'amis, d'ex-collègues et
d’ex-flammes. On devine qu’elle a aussi parcouru plusieurs articles dans des
magazines et des journaux d’époque en plus de visionner de vieilles émissions
de télévision.
Jacques Bouchard est né à Montréal le 29 août 1930. Le père
de Jacques Bouchard, Bernard, est barbier. À l'école, ses professeurs notent la
facilité d'élocution de Bouchard et son don pour la littérature. Bouchard se
plaira d’ailleurs à répéter toute sa vie que « tout s'apprend dans les livres.
»
C'est au collège que Bouchard fait la connaissance de ce
qu'il appelait affectueusement dans ses conférences publiques « sa maîtresse,
la publicité. » À l'adolescence Jacques Bouchard travaillera pendant l'été
comme stagiaire au journal Le Canada. En 1949, alors âgé de 19 ans, il commence
à travailler comme traducteur d'annonces et ce, même s'il maîtrise peu l'anglais.
Pour parfaire ses connaissances de la publicité, il tombe
sur un ouvrage intitulé Sa majesté la
publicité, dont la publication remonte à 1901. « C'est le coup de foudre
et sans surprise, Bouchard rêve de concevoir des messages originaux pour ses
clients, s'éloigner de la traduction et faire de la publicité créée en français
et pour les consommateurs francophones », écrit Marie-Claude Ducas.
En 1952, au Canada, apparaît un média qui bouleversera le
paysage culturel : la télévision. Les premières émissions de télévision sont
d'ailleurs des prolongements des émissions de radio. « Ce nouveau médium aura
un impact profond sur Bouchard qui comprend son pouvoir de persuasion », note
Madame Ducas.
Les brasseries sont parmi les premiers annonceurs et
commanditaires de la télévision québécoise. Si les brasseries tirent rapidement
avantage de ce nouveau média, les multinationales sont plus lentes à faire le
saut. Quoiqu'il en soit, « l'avènement de la télévision fut le véritable point
de départ de la publicité francophone », constate Madame Ducas.
Après avoir exercé le métier de traducteur d’annonces chez
Vickers et Benson, Jacques Bouchard entre chez Steinberg en 1952 à titre de
traducteurs et rédacteur publicitaire. Pour la première fois, il est en contact
avec le commerce de détail. Il ne s'agit plus simplement de traduire des textes
de l'anglais vers le français. Il doit maintenant trouver la meilleure façon de
vendre cet épicier aux Québécois.
Par la suite, Bouchard travaille brièvement chez J. Walter
Thompson avant de faire le saut chez Labatt. Chez ce brasseur de bière, Jacques
Bouchard devient chef de la publicité, des relations publiques et de la
promotion au Québec. Il contribue au célèbre concept du slogan « La 50, y a
rien qui Labatt » qui fera concurrence à Dow et à Molson.
Un événement malheureux va aider Labatt à augmenter ses parts de marché. À Québec, plusieurs buveurs de bière Dow décédèrent, victimes d'une étrange maladie, que l'on attribua à la bière Dow qui devient par association « la bière qui tue ». La part de marché de la « 50 » passe alors de 11 % du marché à 35 %.
Parallèlement, Jacques Bouchard initie les cours de publicité à l'UQAM et à l'Université de Montréal et il cherche à regrouper les
forces vives de la publicité au Québec : agences, clients, médias. Il rêve
de lancer le regroupement des publicitaires francophones. Ce regroupement
prendra éventuellement le nom de Publicité Club.
Sans surprise, Bouchard mijote la création d'une agence de
publicité. BCP publicité voit officiellement le jour à la toute fin de 1963 avec la complicité de Jean-Paul Champagne et Pierre Pelletier.
Pour frapper un grand coup, à l'automne 1964, les associés
de BCP vont racheter les droits de diffusion pour les matchs de la Ligue
canadienne de football (LCF). Mais rapidement, BCP se retrouve avec les droits de
match que personne ne veut diffuser. BCP se ramasse alors avec une dette énorme
et est menacée de faillite.
L'affaire des droits de la Ligue canadienne de football se
rendra jusqu'au bureau du premier ministre et Jacques Bouchard passera très
près de fermer boutique. « Mais sur le plan des relations publiques, mentionne
Marie-Claude Ducas, il trouvera à exploiter cette histoire de football à cause
de sa visibilité dans les médias. »
Jacques Bouchard se passionne également pour la
communication politique. Dans le cadre de ses activités politiques, il
travaillera de concert avec les stratèges libéraux sur plusieurs campagnes
électorales distinctes destinées au Canada français, une première dans l’histoire
du marketing politique canadien. Son coup de génie : il misera sur le
charisme de Pierre-Elliott Trudeau en lançant la Trudeaumanie.
Jacques Bouchard commence aussi une amitié avec Jean
Drapeau. La réélection de ce dernier en 1966 aura d’ailleurs des conséquences
importantes sur le développement de l'agence de publicité BCP en terme de
contrats et de contacts.
À cet égard, tout au long de sa biographie, Marie-Claude Ducas décrit un
Bouchard « original et curieux », soucieux d’alimenter sa visibilité et ses contacts en affaire comme en politique.
À l’évidence, ses techniques de motivation sortent également de l'ordinaire, comme la
participation de ses deux chiens dans la vidéo de bienvenue que les nouveaux
employés de l'agence doivent visionner.
Avec les années, Jacques Bouchard multiplie les coups de
circuits : Marie-Josée Taillefer pour Desjardins, Dominique Michel pour Air
Canada, Juliette Huot pour Dominion,
René Simard pour les poudings Laura Secord, Midas avec Gilles Villeneuve, St-Hubert avec Juliette Béliveau et Willie Lamothe pour
Labatt. C’est l’âge d’or de BCP et de Jacques Bouchard.
Conscient de la puissance du milieu artistique québécois,
Jacques Bouchard n'hésitera pas à faire appel aux vedettes du petit écran (chanteurs, acteurs, comédiens, sportifs, etc.) toute
sa vie durant. On devine que son passage chez J. Walter Thompson a certainement joué un rôle important dans le recours à cette technique.
Fort de son succès et de sa compréhension du marché
québécois, Jacques Bouchard donne de multiples conférences avec des titres comme « Why French girls always say Yes » et publie une brochure intitulée The Twin Bed Marketing Techniques. Dans celles-ci, il
expose les caractéristiques socioculturelles des Québécois, ce qui les
différencie du reste du Canada, ce qu'il appellera plus simplement « la théorie
des lits jumeaux ».
Parler de publicité, c’est s’intéresser aux contenus des
messages, aux récepteurs (les Québécois) et à la culture populaire du moment,
sorte d’antenne des aspirations du peuple. Pour faire sa démonstration,
Bouchard cite en exemple les succès obtenus par ses campagnes de publicité. Il
met aussi en garde les annonceurs contre les traductions et les adaptations.
Dans les faits, la recette de Bouchard repose sur cinq
éléments centraux : compréhension de l’homo quebecus, slogan fort, recours aux
enfants, aux vedettes et à la télévision.
« D'habitude, les campagnes de publicité consacrent 20 % du
budget à la production des messages ; conscient de la puissance des
porte-parole au Québec, Bouchard n'hésitera pas à consacrer 30 % de son budget
pour signer des vedette », écrit Madame Ducas.
Dans les années 1970 Jacques Bouchard est plus populaire que
jamais. En 1973, il est couronné lors d'un gala réunissant l'élite des affaires
et du milieu artistique. Un an plus tard, BCP devient la plus importante agence
au Canada. Les médias francophones et anglophones le considèrent alors comme
une vedette et sa visibilité s’étend dans les médias grands publics comme TV
Hebdos et Écho Vedettes.
Ceci dit, au-delà de son image de séducteur, on comprend
entre les lignes de cette biographie que Bouchard pouvait se révéler
particulièrement dur en affaires, comme en font foi quelques courts passages consacrés
à François Duffar, ex-Cossette.
Dans le cadre de mes conférences sur la publicité, d’ex-collègues de Jacques
Bouchard m’ont d’ailleurs raconté que l'auteur des 36 cordes sensibles pouvait
être à ses heures exigeant, difficile, entêté et intransigeant. C’est un aspect
peu développé dans ce livre.
Puisque nous parlons des 36 cordes sensibles, notons que
l’auteure de cette biographie sur Jacques Bouchard consacre comme il se doit
plusieurs pages à la parution de ce livre.
À l'instar d'Ogilvy, Bouchard comprend intuitivement la
nécessité de se donner une théorie ; un livre qui deviendra en quelque
sorte son manifeste commercial. Rosser Reeves a sa USP ( «Unique SellingProposition » ou « Proposition de vente unique », en français), Ogilvy son
image de marque, Bouchard aura ses 36 cordes sensibles.
Ce livre qui se vendra rapidement à 30 000 copies vaut à Jacques Bouchard diverses entrevues à la
radio et à la télévision. Sans surprise, certaines cordes et racines ne feront
pas l'unanimité, entre autres, la racine minoritaire.
Bouchard est fasciné par le concept de l'identité tribale.
Il note que la masse québécoise a constamment besoin d'être revalorisée. Le
complexe d’infériorité c'est aussi l'envie, l'étroitesse d'esprit et la peur
des riches. Bouchard déclare d'ailleurs une guerre sans merci à cette corde.
En réalité, Jacques Bouchard rêve d'entrepreneurship chez
les Québécois. Quelques décennies plus tard, force est de constater que cette
question de la valorisation des entrepreneurs est toujours d’actualité.
Dans les faits, il existe maintenant une version remaniée des 36 cordes sensibles et le débat fait toujours rage sur les 36 cordes. Plus récemment, Isabelle Poitras-Lefebvre, une étudiante gradée à la maîtrise en communication de
l'Université Laval, a observé les traits culturels dans la publicité
télévisée québécoise. Elle
confirme que plusieurs traits culturels repris des essais de Jacques
Bouchard se retrouvent dans la publicité actuelle.
Dans les années 70, Bouchard s'intéresse à la
zoothérapie et à la publicité sociétale. Ainsi, il crée Sociétal, un regroupement de publicitaires bénévoles engagés dans la création de campagnes de publicité sociétale ou sociale, comme on dit plus communément aujourd'hui.
Les années 80 voient apparaître une série de petites
agences. Il n'en reste pas moins que la décennie des années 80 et 90 sera
celle de Cossette qui va prendre lentement le dessus sur BCP.
À l'origine,
Cossette est une agence de graphistes qui va se faire remarquer pour ses
publicités du Club Med, de Renault, de McDonald’s et de Bell. Cossette
deviendra éventuellement l’incontournable des agences au Québec, puis au
Canada.
Pour Jacques Bouchard, le temps est venu de tirer sa
révérence. En 1984, il vend son agence de communication à Yves
Gougoux, ce qui ne l’empêchera pas de rester actif dans le monde de la
publicité. En effet, il sera à l'origine du premier mondial de la publicité
francophone à Montréal en 1986-87.
Dans un monde publicitaire caractérisé par une vague des
regroupements, BCP passe aux mains des Français au milieu des années 90. C'est
l'époque des grands groupes : Omnicom, Publicis, etc.
En conclusion, Marie-Claude Ducas se penche sur le secret du
succès de Jacques Bouchard. « La simplicité est le secret des grands
communicateurs » rappelle-t-elle en citant Jacques Bouchard.
« Tout s’apprend dans les livres », avait l’habitude de dire
Jacques Bouchard. J'aurais envie d’ajouter que pour tout apprendre sur Jacques
Bouchard, le livre de Marie-Claude Ducas est désormais la référence
incontournable, un ouvrage exceptionnel, détaillé, fouillé. À ma grande
surprise, j'y ai même découvert que Bouchard détenait une maîtrise consacrée à
la publicité sociétale.
En ce qui me concerne, jamais je n’oublierai mon premier
contact avec Jacques Bouchard. J’étais alors étudiant au Département de
communication et d’information de l’Université Laval. Nous sommes au milieu des
années 80. L’un de mes professeurs, Jacques De Guise, avait invité Jacques
Bouchard à venir nous parler de publicité et des 36 cordes sensibles.
Accompagné de mon ami Raymond Boisvert, j’ai assisté à cette
conférence confortablement assis à la première rangée. Au milieu de sa
conférence, Bouchard a abordé l’impact des couleurs sur le consommateur.
Après avoir
fait la nomenclature des impacts de la couleur en marketing, il a pointé un
participant dans la salle et il a dit : « Vous voyez cet étudiant qui est
venu assister à ma conférence. Il porte un chandail jaune lumière. Visiblement,
il est certainement heureux, énergique et content d’écouter mes propos sur la
publicité. » Je vous laisse deviner l’identité de cet étudiant. Pour ma part,
j’étais désormais mordu de pub.