De nombreux
téléspectateurs croyaient que Travis Cormier sortirait gagnant de la grande
finale de La Voix. Et pourtant, c’est Stéphanie St-Jean, qui a gagné in
extremis, à 32 contre 31 % pour Travis. Comment
expliquer cette superbe performance de TVA.
Plusieurs facteurs permettent d’expliquer le succès de La Voix.
1. L’identification
Les protagonistes de La Voix nous ressemblent ou pourraient nous
ressembler. Ce sont des gens comme tout le monde. Les
téléspectateurs s’identifient aux participants, ce qui crée des liens affectifs
; les téléspectateurs ont aussi l’impression de partager la même réalité.
Pourtant, il faut savoir que
cette voie n’est pas ouverte à tout le monde. Les producteurs de ces émissions
procèdent à la sélection des candidats selon des profils stéréotypés.
Dans le cas de La Voix, on a pris soin de sélectionner des participants
originaires de plusieurs régions afin de renforcer le lien entre les
participants et le public. La majorité des téléspectateurs s’associent donc à
l’un ou l’autre des protagonistes pour diverses raisons : les candidats
proviennent de différentes régions géographiques, ne sont pas connus, bref, ce
sont des gens ordinaires avec des parcours approximatifs.
2. L’évasion
La Voix est marchande de rêves d’argent, d’amour et de gloire. Elle
repose sur des leviers universels qui existaient déjà avant la téléréalité :
la passion, le charme, le succès, l’échec. À l’instar des autres téléréalités, La Voix est donc une manière de
s’évader du quotidien et de rêver.
3. L’individualisme
Force est de reconnaître que nous vivons dans une société qui valorise
l’expression personnelle. Or, La Voix est le reflet de cette société, une
génération de téléspectateurs pour qui, exister, « c’est être vus à la
télévision ».
De plus, certains
téléspectateurs témoins de la célébrité acquise par les participants,
entretiennent l’espoir de l’obtenir eux-mêmes un jour.
4. La célébrité
Les participants de La Voix viennent chercher de la reconnaissance et de la
notoriété; un succès généralement éphémère, dois-je le rappeler.
En entrevue, John De Mol, créateur de The Voice of Holland
et ex-patron néerlandais d’Endemol Entertainment (il a vendu son
entreprise à Telefonica en 2000 mais il est de retour dans Endemol
depuis 2007),
confirme : « Nous avons inventé un nouveau genre et montré que des
individus ordinaires peuvent être des personnages intéressants : votre
voisin de palier peut vous étonner ».
5. La notoriété
Si les gens ordinaires rêvaient de devenir des stars
de cinéma en 1950-60, aujourd’hui, la télévision leur apparaît maintenant comme
le vecteur privilégié de la promotion sociale accélérée.
Le phénomène de La Voix est fondé sur l’exhibitionnisme (et cela même si la clé de cette émission lancée au Pays-Bas en 2010 par le conglomérat Talpa repose sur des évaluations à l'aveugle) : des gens acceptent d’être vus par des
millions de téléspectateurs. Il s’agit, ne l'oublions pas, d’une génération qui a grandi dans un
contexte où les principaux modèles sont ceux du vedettariat.
6. La compétition
L’émission La Voix ressemble au hockey. Les
téléspectateurs prennent plaisir à la victoire de certains aux dépens de
d’autres.
En écoutant parler les téléspectateurs les plus
assidus, il est clair que les amateurs du genre finissent par établir des
relations avec les protagonistes qui sont similaires aux affiliations que l’on
constate dans le monde du sport professionnel.
Dans les faits, je rappelle que le concours de talents
est aussi ancien que la télévision. Le téléspectateur ne semble pas vouloir
s’en lasser. Selon les époques, ils s’appellent Star Académie, Talents Catelli ou MixMania.
7. Un sentiment d’unité
Ces émissions recréent un monde commun alors que l’on vit dans des mondes
séparés. Les Québécois se sentent en communion avec les juges et les
participants alors qu’en réalité, ils sont seuls à la maison.
Selon Estelle Lebel, professeur au département d’information et de
communication de l’Université Laval, ces émissions permettent peut-être
d’assouvir des besoins sociaux qui ne sont plus pris en charge par une société
faite de solitude et d’individualisme.
8. Le voyeurisme
Les téléspectateurs sont invités à observer à distance les réactions
psychologiques et physiques des participants. Certaines de ces émissions
imposent parfois des situations humiliantes ou difficiles.
Selon le
britannique John Dovey, la téléréalité est l’illustration parfaite de la
« culture contemporaine du moment ». Elle est mélodramatique et exploite le misérabilisme ; c’est
un théâtre des horreurs qui rend publiques les moments privés les plus intimes.
9. Un relais médias
inégalé
Évidemment, la convergence des médias que l’on connaît depuis quelques
années à l'échelle planétaire et qui caractérise La Voix, est un facteur qui permet de comprendre le
succès de ce type d’émissions.
La Voix fait l’objet de chroniques et de commentaires à la télévision ;
les chansons et la trame sonore sont reprises à la radio ; l’émission fait
l’objet de nombreux articles dans les journaux et dans les magazines dans
lesquels on passe au peigne fin la vie privée des participants. En somme, la
télévision mène à Internet, lequel mène aux magazines, lesquels redirigent les
consommateurs vers la télévision, le CD et éventuellement les spectacles.
En multipliant les médias, on décuple habilement les effets sur les consommateurs en
exploitant les forces respectives de chaque média.
10. L’interactivité
En 1999, la téléréalité change de statut et devient interactive. Le succès
de La Voix s’explique donc en partie à cause de l’interactivité, en particulier,
l’utilisation du deuxième écran, phénomène qui consiste à commenter sur les
médias sociaux l’émission en cours (et réflexe qu'a encouragé TVA dès les premières émissions).